Bolloré contre Guillemot : Gameloft est pris dans la danse

Depuis l’année dernière, Vincent Bolloré, dirigeant du groupe homonyme et président du conseil de sécurité de Vivendi, a beaucoup fait parler de lui, notamment via des accusations de censure concernant des émissions diffusées sur Canal +. Au sein de l’univers du gaming, l’homme d’affaire breton s’est aussi illustré en prenant près de 11% des parts d’Ubisoft via Vivendi, et en manifestant son désir d’aller encore plus loin. Chez les joueurs comme chez Yves Guillemot, le PDG d’Ubisoft, l’inquiétude monte face à une éventuelle prise de contrôle du secteur par Vincent Bolloré…

 

Blizzard Entertainment, le premier pas

En juillet 2008, l’impressionnante fusion de Vivendi Games (qui détenait Blizzard) et Activision provoque de grands remous, car en plus de créer le premier studio de jeux vidéo en terme de chiffre d’affaire, elle occasionne surtout une importante restructuration. Le super-studio, désormais supérieur à Electronic Arts, a longtemps essuyé des critiques qui sont encore présentes aujourd’hui – Actipognon ou Bli$$ard sont souvent des noms employés suite à cette opération…

Mais en juillet 2013, Activision-Blizzard a pris son indépendance en rachetant elle-même ses parts à Vivendi pour un montant de 8,2 milliards d’euros – même si dans les faits, la multinationale française détenait encore quelques vagues parts jusqu’en janvier dernier. Si cela permet au studio de pouvoir revenir à des décisions moins contrôlées par les impératifs financiers d’actionnaires, Vivendi se retrouvait désormais sans pied dans le monde vidéo-ludique.

 

L’attrait d’Ubisoft

Troisième plus gros studio du monde (juste derrière Activision-Blizzard…), Ubisoft est aussi un éditeur, avec une particularité : il est breton, comme Vincent Bolloré. Il est aussi extrêmement diversifié, qu’il s’agisse des jeux en ligne, sur consoles ou même téléphone.

C’est donc pourquoi en octobre 2015, Vivendi prend une participation non-sollicitée de 6,6% dans le studio français – mais aussi chez Gameloft, dirigé par… Michel, le frère d’Yves Guillemot ! Ce dernier a aussitôt envoyé un mail aux investisseurs d’Ubisoft, les mettant en garde contre les manœuvres de Bolloré et les priants de ne rien lui céder. Cela a tout d’une guerre, mais pas encore déclarée. Sauf que Vivendi, quelques jours après, a encore augmenté sa participation chez l’éditeur d’Assassin’s Creed à près de 11% ! Dans un langage moins soutenu, on appelle ça « avoir des ballz et les poser sur la table ». Le problème, c’est que cette action est intervenue en pleine tourmente des accusations envers Bolloré, le pointant du doigt comme le censeur des médias en sa possession. Actuellement, les parts de Vivendi ne sont pas suffisantes pour permettre au conglomérat de peser dans les décisions du studio, et si l’appel d’Yves Guillemot est entendu, les actionnaires initiaux stopperont probablement les projets de l’ambitieux homme d’affaire breton. Mais comme la mafia le sait, si on ne peut s’attaquer à une personne, il faut s’en prendre à sa famille. Et dans tous les sens du terme, la famille proche d’Ubisoft, c’est…

 

Bolloré's Creed : Moneyhood

Bolloré’sCreed

 

Gameloft, de tourmente en tournante

Grosse pointure sur les jeux mobiles, le studio fondé par la famille Guillemot a la mauvaise réputation de beaucoup s’inspirer – si ce n’est plagier – de jeux concurrents, ce qui entraîne de faibles coûts de R&D et, forcément, augmente la rentabilité. Cependant, Gameloft a mal négocié le virage des jeux freemium et a du faire une importante restructuration en 2015 – qui a permis de ré-atteindre une rentabilité opérationnelle, mais au prix de 850 emplois à travers le monde.

C’est pourquoi en février dernier, Vincent Bolloré s’est laissé séduire par le studio et a entamé une OPA hostile, laquelle a été approuvée par l’Autorité des marchés financiers. A l’instar de son frère Yves, Michel Guillemot s’est empressé d’expliquer aux investisseurs qu’un Gameloft indépendant était plus profitable qu’aux mains de Vivendi. Seul problème, Bolloré sait charmer les autres hommes d’affaire, et son offre d’achat sonne comme une prime appétissante aux yeux des actionnaires. En guise de contre-attaque, Ubisoft espère compter sur le soutien du gouvernement canadien (3000 personnes sont employées dans les studios de Québec et Halifax) et une ré-augmentation de capital pour une meilleure indépendance, Gameloft est dans une position moins enviable.

Si jamais la demande de Michel Guillemot n’aboutit pas, Vincent Bolloré risque bien de prendre le contrôle de Gameloft et, par-là, de forcer la famille bretonne à capituler et à ouvrir les portes d’Ubisoft à Vivendi.

 

Une stratégie à long-terme

L’intérêt des conglomérats comme ceux de Vivendi est qu’une des filiales ait des répercussions positives sur les activités d’une autre – le fameux 1 + 1 = 3, la somme de deux éléments étant parfois plus importante que leur simple addition. Si comme le montre l’image ci-dessous, Canal + s’appuie sur des médias d’autres concurrents (Jeuxvidéo.com appartient à Webedia) pour promouvoir ses contenus. Certains ont même comparé la série Section Zéro à The Division, le dernier jeu d’Ubisoft qui a enregistré un succès aussi bien critique que commercial. Bolloré pourrait donc convaincre les investisseurs pour l’instant alliés à Yves Guillemot de l’intérêt de son offre, et les faire pencher dans sa direction plus facilement.

 

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Concrètement, en cas de victoire de Vivendi, il pourrait y avoir deux issues possibles ; la première serait bien sûr une hausse des moyens de Ubisoft et Gameloft, leur permettant ainsi de poursuivre leurs réalisations avec un budget encore plus grand. Le deuxième scénario, hélas plus plausible, repose sur des exemples passés ; la plupart des studios rachetés par de grosses entités ont fini par se noyer et perdre leur âme créative. Ce serait une catastrophe pour toute la scène vidéo-ludique, et de grosses licences pourraient en pâtir. Manifestement, les prochains mois seront déterminants pour les deux camps…

Rédacteur en chef de ce p'tit site bien sympatoche ! Amateur de jeux stylés, point bonus s'il y a une histoire riche et/ou des blagues de gamin. Dispo sur Twitter : @RealMimil

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