Yves Guillemot pointe du doigt les trolls et leurs « faux combats », oubliant ainsi ses propres torts

Mais enfin, il ne faut pas raconter n'importe quoi monsieur

Yves Guillemot, PDG d’Ubisoft, s’est récemment félicité d’avoir trouvé la solution miracle face aux polémiques qui ont entouré Assassin’s Creed Shadows : « nous avons simplement arrêté de nourrir les trolls. » Dans une interview relayée par PCGamer et confirmée par des éléments de GameFile, le patron d’Ubisoft explique que la crise autour du jeu — notamment les débats sur l’intégration du samouraï noir Yasuke dans le Japon féodal — aurait disparu d’elle-même dès lors que la firme aurait cessé de réagir. « Les combats se sont éteints très vite, parce qu’ils n’étaient que de faux combats, » déclare-t-il. Une stratégie de communication aussi minimaliste que séduisante : ne rien dire, laisser le vacarme s’épuiser.

Pour replacer les choses, le studio avait essuyé une vague de critiques virulentes dès la présentation du titre. Sur les réseaux, certains reprochaient à Ubisoft une réécriture de l’histoire, d’autres accusaient le jeu de céder à une forme de progressisme forcé. Face à cette tempête numérique, Ubisoft aurait d’abord tenté de clarifier ses choix, notamment via des déclarations maladroites sur « l’authenticité historique. » Ces explications n’ont fait qu’attiser les débats. Puis, à l’automne 2024, changement de cap : silence radio. C’est cette bascule que Guillemot décrit comme un déclic, et qui lui a manifestement apporté la plus infuse des sciences ; difficile en effet de ne pas se rappeler quand, en juillet dernier, le PDG d’Ubisoft justifiait l’échec de Star Wars : Outlaws par l’état de la licence.

Cette posture s’inscrit malheureusement dans une logique désormais courante dans les grandes entreprises : considérer que répondre à des attaques de mauvaise foi ne fait qu’en amplifier la portée. Ignorer le vacarme devient alors une manière de le rendre inaudible. Et il faut bien admettre que dans le cas présent, la méthode a semblé fonctionner : l’emballement s’est essoufflé, et Assassin’s Creed Shadows n’est plus au centre des polémiques, malgré le mécontentement persistant des Japonais qui ont vu leur culture salie.

La vidéo ci-dessous montre d’ailleurs à quel point les arguments d’Ubisoft ont séduit – avec une certaine ironie – de nombreux influenceurs, qui ont fait preuve d’une mauvaise foi digne de M. Guillemt lui-même.

 

 

 

Mais cette version lisse et confiante masque des nuances. Comme le rappelle GameFile, Ubisoft a profité de ce calme apparent pour repousser la sortie du jeu et retravailler plusieurs aspects techniques et narratifs. Autrement dit, la stratégie du silence n’a pas été pure passivité : derrière les portes closes, le studio a peaufiné son produit. Si M. Guillemot se vante d’avoir « arrêté de nourrir les trolls, » il omet de préciser qu’il a aussi pris le temps de renforcer les murailles. Pas assez, cependant, puisque Assassin’s Creed Shadows n’est pas le succès escompté.

Le discours pose également une question plus politique. En présentant les polémiques comme des faux combats, Yves Guillemot efface la frontière entre critique légitime et harcèlement idéologique. Derrière le tumulte des réseaux se cachent souvent des discussions de fond sur la représentation, l’histoire, ou le traitement culturel. Tout ne se résume pas à des « trolls. » En prétendant qu’il suffit d’ignorer les voix dissonantes, Ubisoft risque de jeter dans le même sac les provocateurs et les spectateurs de bonne foi.

Cette ambiguïté peut largement être vue avec un certain scepticisme. D’une part, parce que le PDG présente la démarche comme une révélation soudaine — comme si, après vingt ans de communication de crise, Ubisoft venait seulement de comprendre qu’il valait parfois mieux se taire. D’autre part, parce qu’elle tranche avec la culture maison : l’entreprise a souvent été prompte à réagir, parfois maladroitement, à la moindre controverse. Dans ce contexte, le silence stratégique ressemble moins à une philosophie nouvelle qu’à une simple fatigue médiatique.

 

 

 

On peut aussi y voir une forme de recentrage pragmatique. Ubisoft a besoin de résultats, et Assassin’s Creed demeure son navire amiral. Chaque polémique est donc un risque pour l’image, pour la trésorerie et pour les partenaires commerciaux. Mieux vaut couper court que s’épuiser en justifications. En interne, l’entreprise cherche d’ailleurs à rationaliser sa communication et à éviter tout message qui pourrait brouiller la relance de la marque. « Ne pas nourrir les trolls » devient alors une consigne, presque une directive de production.

Reste que la posture de Guillemot prête à sourire. Après des années de scandales internes, de crises managériales et de promesses creuses, le PDG se découvre une sagesse stoïcienne : il suffisait donc de se taire ! Une pirouette commode, presque poétique, qui permet d’oublier les maladresses précédentes sans jamais les reconnaître. Il faut dire que, pour un homme qui a longtemps prétendu que Assassin’s Creed « n’était pas politique, » expliquer aujourd’hui qu’il faut ignorer les débats ressemble à une fuite élégante plus qu’à une victoire intellectuelle.

En définitive, la méthode Ubisoft fonctionne parce qu’elle répond à une logique de marché, pas à une philosophie morale. Le silence n’est pas une preuve de confiance, c’est un outil de gestion. Si le résultat est là — une campagne marketing apaisée, une sortie un peu maîtrisée —, la question reste entière : que devient la conversation entre les créateurs et leur public ? Yves Guillemot affirme qu’il a « arrêté de nourrir les trolls. » Très bien. Mais à force de ne plus nourrir personne, Ubisoft pourrait aussi finir par parler seul.

 

 

 

 

Rédacteur en chef de ce p'tit site bien sympatoche ! Amateur de jeux stylés, point bonus s'il y a une histoire riche et/ou des blagues de gamin. Dispo sur Twitter : @RealMimil

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