Site icon Always For Keyboard

Project Ragtag : voici quels auraient été les personnages et l’histoire du jeu Star Wars annulé

Parler de Project Ragtag, c’est évoquer une chimère : un jeu Star Wars conçu comme un blockbuster narratif, porté par Amy Hennig (scénariste et directrice créative d’Uncharted), qui promettait d’emmener la saga dans un registre inédit — celui du braquage spatial cinématographique. Entre concept arts léchés, témoignages d’anciens développeurs et promesses de gameplay, Ragtag cristallise encore aujourd’hui les regrets d’une génération de joueurs.

Mais comment un projet aussi alléchant, chapeauté par Visceral Games (les créateurs de Dead Space), a-t-il pu disparaître sans laisser d’autre trace que des bribes ?

 

  • Electronic Arts, Disney et la stratégie Star Wars des années 2010

En 2013, Electronic Arts décroche l’exclusivité des droits de développement de jeux Star Wars après l’acquisition de Lucasfilm par Disney. L’objectif : exploiter la franchise via plusieurs studios internes (DICE, BioWare, Visceral).

Visceral, jusque-là spécialisé dans les expériences solo (Dead Space), reçoit la mission de développer un titre narratif ambitieux dans l’univers Star Wars. Le nom de code est vite trouvé : Project Ragtag.

À la barre, Amy Hennig, tout juste sortie de Naughty Dog, où elle a façonné l’identité narrative d’Uncharted. Les attentes explosent : et si EA livrait enfin un jeu Star Wars prestigieux, un grand récit solo capable de rivaliser avec les productions hollywoodiennes ?

 

 

  • Ce que Ragtag devait être : un Star Wars « heist movie »

Les premières orientations créatives sont claires : pas de Jedi, pas de Sith, pas de grandes batailles spatiales. Ragtag devait explorer le côté sombre mais humain de la galaxie, celui des contrebandiers, des mercenaires et des petites mains qui survivent dans l’ombre de l’Empire.

Située entre Un Nouvel Espoir et L’Empire contre-attaque, l’intrigue devait suivre une bande de criminels menés par un certain Dodger Boon (un héros inédit), recrutés pour réaliser un braquage monumental contre l’Empire. Un récit de casse, inspiré à la fois des films de braquage classiques (Heat, Ocean’s Eleven) et du ton pulp propre à Star Wars.

Un développeur a décrit Ragtag comme « un film de casse interactif« , où les trahisons, retournements de situation et relations de groupe auraient eu autant d’importance que les blasters. Chaque membre de l’équipe avait son caractère, ses compétences et sa dynamique relationnelle. Le joueur aurait alterné entre différents personnages pour vivre l’histoire sous plusieurs angles — un choix narratif rare dans la franchise.

Au final, l’aspect pulp aurait été incarné par trois grands axes :

  • Action-aventure à la troisième personne, mélangeant infiltration, gunplay et exploration.
  • Set-pieces spectaculaires, pensés pour être joués plutôt que seulement regardés : une poursuite d’AT-ST dans une ville, une infiltration dans une forteresse impériale, des fuites explosives dans des environnements destructibles grâce au moteur Frostbite.
  • Séquences d’équipe dynamiques, où les compagnons de Dodger jouaient un rôle actif, presque à la manière de l’IA alliée d’Uncharted 4 ou des escouades de Mass Effect.

 

 
  • Dans les coulisses, un développement miné de difficultés

Derrière la promesse, la réalité fut bien plus compliquée, car plusieurs facteurs se sont combinés pour plomber Ragtag.

Pensé pour les FPS de DICE (Battlefield), Frostbite s’est avéré un cauchemar pour un jeu narratif à la troisième personne. Les outils manquaient, tout devait être réinventé. Les développeurs parlent de mois entiers perdus à résoudre des problèmes techniques basiques (caméras, IA, sauvegardes) ; on se rappellera avec tristesse, en 2021, de l’abandon d’Anthem pour des raisons similaires. Visceral Games, déjà fragilisé par l’échec de Dead Space 3, se voyait imposer un projet d’envergure hollywoodienne avec des moyens humains limités. Le turnover était élevé, l’ambiance tendue.

Alors que Battlefront avançait en brinquebalant), EA change de cap : priorité aux jeux multijoueurs à service continu, capables de générer des revenus via DLC et microtransactions. Un jeu solo linéaire, sans « replay value » comme disent les cadres, devient un pari difficile à défendre.

Résultat : Ragtag subit des coupes budgétaires, des changements de direction, et des reports successifs.

 

 

 

  • 2017 et la fermeture brutale de Visceral Games

En octobre 2017, coup de tonnerre : Electronic Arts annonce la fermeture pure et simple de Visceral Games. Officiellement, pour « repenser le jeu afin de proposer une expérience plus large et accessible » même si, officieusement mais au su de tous, Ragtag est mort-né.

Certaines parties du projet sont transférées à EA Vancouver, mais très vite l’idée d’un remake « élargi » disparaît dans les méandres des priorités internes. Ragtag rejoint la liste des grands jeux annulés, aux côtés du tristement célèbre 1313.

Pour Amy Hennig, c’est une claque : privée de la direction du projet, elle quitte EA peu après. Elle déclarera plus tard que l’annulation de Ragtag illustre la difficulté de faire financer des jeux solo ambitieux dans une industrie obsédée par le multijoueur et les revenus récurrents.

 

 

 

  • Ce qu’on regrette de ces opportunités manquées…

  • Une nouvelle facette de Star WarsRagtag promettait d’explorer la criminalité, les zones grises morales et la survie des marginaux. Un récit adulte, centré sur des personnages faillibles et humains.
  • Une écriture signée Amy Hennig — un récit rythmé et émotionnellement riche, mêlant humour, tragédie et camaraderie.
  • Des séquences mémorables — course-poursuite d’AT-ST, braquages synchronisés, environnements iconiques revisités comme Tatooine.

Si Ragtag n’a jamais vu le jour, son esprit plane encore. L’annonce en 2023 de Star Wars Outlaws par Massive Entertainment (Ubisoft) a immédiatement rappelé aux fans ce qu’aurait pu être Ragtag : un jeu solo narratif centré sur une contrebandière (Kay Vess), explorant l’underworld galactique.

Parallèlement, Amy Hennig, désormais chez Skydance New Media, a annoncé en 2022 travailler de nouveau sur un projet Star Wars narratif. Certains espèrent qu’il reprendra, au moins en partie, les idées de Ragtag.

 

Project Ragtag symbolise une époque charnière de l’industrie : celle où les éditeurs misaient tout sur les blockbusters live et abandonnaient les expériences solo ambitieuses. Ironie du sort, quelques années plus tard, le succès de titres comme Jedi: Fallen Order (Respawn Entertainment, studio propriété d’EA) a prouvé qu’il y avait bien un marché pour les jeux narratifs Star Wars. Qui aurait pu prédire…Ragtag restera donc comme une occasion manquée — mais aussi comme une inspiration persistante. L’idée d’un Uncharted dans l’univers Star Wars n’est pas morte, et peut-être qu’un jour, quelque part dans la galaxie vidéoludique, Amy Hennig ou d’autres la feront renaître !

 

Quitter la version mobile