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Pourquoi les jeux vidéo coûtent-ils de plus en plus chers ?

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Cinquante, soixante, et même soixante-dix euros. En l’espace de quelques années, le prix des jeux vidéo semble avoir largement augmenté, et plus particulièrement ces derniers mois. Alors que la qualité et la quantité sont souvent juxtaposées, et ce, depuis des années, la question du prix est de plus en plus mise en avant.

Covid-19 et inflation planétaires, sont-elles les raisons de ces récentes augmentations, ou s’agit-il juste de volonté des éditeurs de faire plus de bénéfices ? On décortique tout ça !

 

 

 

Pour pouvoir constater une augmentation, il faut avant tout partir d’une base, afin de savoir si la courbe des prix est bien ascendante. Et surtout, il convient de mesurer et de définir l’inflation – pas celle actuelle dont tout le monde parle, mais bien celle qui met en exergue la valeur d’une monnaie à travers une certaine période de temps.

Dans les années 1980, lors de l’explosion et de la démocratisation des jeux vidéo, les entreprises qui régnaient en maître sur le marché étaient relativement différentes d’aujourd’hui. Les jeux pour les consoles Atari et NES (construites respectivement par Atari et Nintendo) coûtaient en moyenne 50 dollars. Si l’on ajuste cette somme avec sa valeur aujourd’hui, on se retrouve donc avec un prix de 110 dollars, soit environ 105 euros.

Bien entendu, l’exemple des consoles donné plus haut n’est pas pertinent en lui-même, surtout sur un site nommé Always For Keyboard ! Pourtant, Atari et Nintendo ont dansé les premiers pas d’une valse qui continue encore aujourd’hui : celle des prix fixés par les géants. Les jeux PC étaient souvent développés par des studios indépendants (Mindscape, MicroProse, Sierra ou encore Dynamix), qui n’avaient pas de liens contractuels ou même émotionnels avec les grands constructeurs de l’époque ; cette situation était encore plus évidente concernant les développeurs indépendants, lesquels étaient légion au siècle dernier. Un autre élément à prendre en compte est qu’une fois un jeu terminé côté développeur, il faut le transmettre au consommateur. Pour cela, les grandes entreprises se sont implantées un peu partout dans le monde, mais restait toutefois un élément particulièrement coûteux à gérer : les cartouches ! Bien avant l’arrivée des CD, les petits boîtiers de Nintendo – pour ne citer que les plus célèbres – envahissaient chaque pays, porteurs avec eu de nombreuses aventures ; cela explique le coût élevé (à l’époque) des jeux vidéo, puisque l’éditeur devait se rembourser le coût de fabrication physique. L’arrivée des “compact discs” a été un changement majeur pour les fabricants, avec une énorme réduction des coûts, mais le prix pour les consommateurs n’a pas changé. Cette marge supplémentaire explique donc que pendant encore longtemps, les éditeurs n’ont pas eu besoin de remettre à niveau le prix payé par leurs clients.

Dans les années 2000, la démocratisation des consoles a également été celles des jeux vidéo. Les deux leaders mondiaux, Sony et Microsoft, ont par le passé admis perdre de l’argent avec la vente du hardware, mais se rattrapaient largement sur le software. C’est pourquoi les jeux vidéo restaient relativement stables, car le prix de base d’un jeu n’a jamais eu besoin de changer ; la consolidation des entreprises, avec pour exemple aussi brillant que parlant le rachat d’ABK par Microsoft, a continué de maintenir le coût de développement des jeux à un niveau suffisamment décent… jusqu’à il y a peu.

 

 

 

 

 

Ces trente dernières années, les prix des jeux vidéo ont été globalement stables. Comme on l’a vu, les éditeurs et studios ont su garder des marges confortables, alors que de plus en plus de gens rejoignaient le formidable monde du gaming. Sorti en 2004, Far Cry a ainsi écoulé 730 000 exemplaires en quatre mois ; en 2018, Far Cry 5 a écoulé 2 400 000 d’exemplaires… en une semaine ! Ce genre de chiffre se répète plus ou moins sur toutes les licences majeures, qui bénéficient tant d’un afflux de néophytes que de la confiance des anciens, permettant ainsi des ventes qui se chiffrent bien souvent en millions. Les deux premières décennies du 21ème siècle ont été, à n’en pas douter, une période de liesse pour les chiffres de vente.

Mais ces dernières années ont également été le théâtre de recherches – et concrétisations ! – de nouveaux moyens de rentabilité. Les micro-transactions, DLC et autres season pass ont été une source formidable de revenus ; il y a peu, on apprenait ainsi qu’une monture pour World of Warcraft avait généré plus d’argent que StarCraft II : Wings of Liberty, qui avait pourtant été extrêmement attendu. Les jeux pouvaient ainsi rester à un prix stable, ou même être totalement gratuits, alors que les joueurs dépensent encore plus d’argent au fil des mois. Le site LeagueFeed estime ainsi qu’un joueur de League of Legends dépense en moyenne 119 dollars, ce qui correspond au double d’un jeu AAA lors de sa sortie. L’industrie vidéo-ludique est allée de plus en plus loin, avec les loot boxes qui se sont rapidement multipliées dans tous les jeux ; Electronic Arts a poussé le concept a son paroxysme avec Star Wars : Battlefront 2, entraînant une immense levée de bouclier, et même l’intervention de législateurs dans différents pays.

 

 

 

 

La mondialisation a également entraîné de superbes occasions de baisser les coûts pour les éditeurs. Service après-vente, écriture de manuels et production d’objets physiques ont pu être délégués à des entreprises dans des pays en voie de développement, où les salaires horaires sont nettement moins élevés qu’en occident. L’exemple le plus parlant dans le monde de la tech est celui des produits Apple, qui arborent tous la phrase “designés en Californie,” mais sont en réalité produits dans des pays comme l’Inde ou les Philippines. Mais la mondialisation du hardware s’oppose, une fois encore, à la centralisation du software ; ainsi, les stores en ligne comme ceux de Valve (Steam), Blizzard (Battle.net), Electronic Arts (EA App), Epic Games (Epic Games Store), Sony (PS Store) ou Microsoft (Xbox Games Store) permettent aux géants du gaming d’éviter les commissions des revendeurs, mais aussi d’en prélever aux développeurs/éditeurs tiers. Et que dire de la digitalisation où, comme les ebooks, les jeux restent au prix fort alors qu’il n’y a ni jaquette, ni manuel, ni distributeur physique !

On peut aussi mettre en exergue le cas de Nintendo, qui est bien différent de ce que font ses concurrents. L’entreprise japonaise a un contrôle total sur la production de cartouches pour ses jeux… et ceux des autres studios, qui doivent ainsi confier l’ensemble du processus aux usines détenues et gérées par Nintendo. Le minimum de commande par un studio tiers est de 15 000 cartouches, pour un prix tournant autour des 150 000 dollars ; par la suite, des royalties sont prélevées sur chaque vente, faisant de la confection et parfois de la distribution un marché très, très juteux pour Nintendo !

 

 

 

 

 

L’histoire des jeux vidéo que nous venons à peine de survoler est certes très intéressante, mais en quoi couvre-t-elle l’augmentation actuelle du prix des jeux vidéo ? Well, une triplette de problèmes a commencé à émerger, ces dernières années.

Le premier est tout simplement que le flux de nouveaux joueurs s’est, en partie, dirigé vers les smartphones. Ceux-ci ont imposé de nouveaux modes de consommation, mais surtout la réalité des magasins virtuels de Google… et Apple ! La firme à la pomme s’est largement faite entendre dans le procès qui l’a opposé à Epic Games, et mis en avant son quasi-monopole ; l’affaire n’est d’ailleurs toujours pas résolue, puisque les deux géants ont décidé de porter leur contentieux devant la Cour Suprême. Petits et grands développeurs ont donc dû composer avec ce coût supplémentaire, mais aussi la captation d’un public qui n’est pas forcément adepte des jeux vidéo.

Une autre concurrence qui est apparue est celle, tout simplement, du nombre. CD Projekt Red, Annapurna Interactive, Focus Entertainment et des milliers d’autres studios ainsi qu’éditeurs se sont élevés dans un marché qui affiche toujours plus de consommateurs, et de projets qui veulent se tailler leur part du gâteau. Cet éventail de choix est bon pour le consommateur, mais entraîne de fait une nécessité d’innovation pour les studios. Toujours plus gros et toujours plus longs à compléter, les jeux vidéo se doivent de sortir individuellement du lot pour espérer séduire un public large, mais moins que les choix qui lui sont proposés. On le voit bien avec les derniers Call of Duty, qui a un budget marketing au moins deux fois supérieures à celui du développement. Ainsi, soit la qualité nécessite des investissements, soit la quantité de publicités doit être augmentée.

 

 

 

 

Avec les années, les jeux sur PC et consoles se sont complexifiés, tandis que les graphismes ont largement évolué. Des technologies comme le ray tracing nécessitent de nouveaux investissements, de même que les moteurs graphiques qui doivent être remplacés – sauf pour le Creation Engine, mais c’est une autre histoire. La troisième problématique est tout simplement la solution aux deux précédentes : il faut plus, encore plus, et toujours plus. Finis l’époque où une poignée de développeurs pouvaient créer en quelques semaines un jeu qui séduirait des dizaines de milliers d’adeptes. Le développement d’un jeu vidéo nécessite donc des technologies complexes, et des équipes toujours plus nombreuses. Si vous souhaitez vous plonger dans quelques chiffres relatifs aux salaires des développeurs, CodeSubmit a de très intéressantes infographies mettant en exergue les coûts ascendants pour un studio.

Ce triple problème a et continue d’engendrer des coûts de plus en plus importants, alors que le prix des jeux vidéo est le même… depuis toujours. Bien entendu, la question de savoir si la qualité desdits jeux est aussi sur une courbe ascendante peut se poser, mais pas dans cet article. Le fait est que cette année, environ 8 000 employés dans l’industrie du jeu vidéo ont été mis à la porte, et que l’inflation mondiale entraîne une réduction des dépenses liées aux loisirs. L’augmentation du prix que l’on observe depuis quelques mois est donc logique, car si l’on rapporte le prix d’un jeu sorti il y a vingt ans à l’inflation monétaire d’aujourd’hui, c’est au moins le double qui serait facturé au consommateur. L’étendue des jeux et la masse salariale nécessaire à leur développement, couplées à une hausse globale du coût de la vie, sont donc les responsables de cette envolée. Dans un souci d’avoir un éventail d’informations plus large, on notera que le marché du jeu vidéo pèse 200 milliards de dollars cette année selon cette estimation, contre un peu plus de 150 milliards en 2020.

Pour la petite info, c’est a priori NBA 2K22 (de l’éditeur 2K, justement) qui a lancé la mode des jeux à 69,99€ pour leur sortie. Juteuse, cette tendance, qui permet de rentabiliser encore plus vite un jeu, a été suivie par Electronic Arts, Ubisoft, Activision, Sony et Microsoft. On peut aussi noter une augmentation des prix déguisés avec les éditions qui proposent de payer un peu plus pour quelques jours d’early access, comme cela se voit de plus en plus. Cette nouvelle pratique tend malheureusement à se démocratiser, et offre une nouvelle source de revenus à des éditeurs toujours plus gourmands.

 

 

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