Adulée dès sa sortie, la saga Dune de Frank Herbert a connu cette décennie une large démocratisation grâce aux deux films (bientôt trois) de Denis Villeneuve. Cet univers riche, structuré autour de la géopolitique, du mysticisme et des luttes d’influence, a exercé une influence considérable sur toute la science-fiction moderne — de Star Wars à Warhammer 40K, en passant par Mass Effect. Pourtant, rares sont les jeux vidéo à s’être attaqués de front à cet héritage complexe.
Après le très bon Dune: Spice Wars de Shiro Games, qui revisitait avec fraîcheur le genre du 4X, Funcom s’est lancé dans un pari autrement plus ambitieux : faire d’Arrakis le théâtre d’un MMO survival en monde ouvert, brutal et immersif. Le défi est de taille, c’est le moins qu’on puisse dire. Entre respect du lore, mécaniques exigeantes et liberté d’action, Dune: Awakening promettait de faire renaître la fièvre de l’Épice.
Alors, pari réussi ?
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Un monde si riche… et impitoyable
On pourrait aisément imaginer qu’une planète sablonneuse est un environnement fade pour un jeu. Pourtant, le riche lore créé par Herbert — ici adapté avec une fidélité surprenante — rend chaque minute aussi dangereuse que passionnante. Dès les premiers instants, le jeu pose le ton : vous n’êtes pas un héros. Vous êtes un survivant.
Le joueur incarne un clone réveillé dans une version alternative d’Arrakis où Paul Muad’Dib n’a jamais existé. Ce parti pris scénaristique, très intelligent, permet à Funcom de s’approprier l’univers sans trahir la trame principale des romans. Résultat : un monde crédible, cohérent, mais où tout reste à écrire.
La quête principale s’attarde longuement sur la culture Fremen, et ce n’est pas une mauvaise chose. La sobriété du ton, les dialogues parfois philosophiques, l’importance du cycle de l’eau et des croyances religieuses : tout est là pour donner du poids à vos actions. Les leçons de Liet-Kynes ou de la Révérende Mère ne sont pas de simples gimmicks narratifs : elles influencent vos choix, vos alliances, vos méthodes.
Là où Dune: Awakening trébuche légèrement, c’est dans la structure classique de ses quêtes. Beaucoup d’entre elles reposent sur des schémas MMO éprouvés — aller ici, ramasser cela, revenir, parler à untel. Le désert ne pardonne pas, et il en va de même de certaines longueurs. Pourtant, ce serait une erreur de les ignorer. En arrière-plan, elles tissent peu à peu une toile dense faite d’idéologies, de tensions coloniales, d’héritages familiaux, et de rêves brisés.
Au fur et à mesure, on réalise que chaque faction — Atréides, Harkonnen, et même les guildes commerciales ou le Bene Gesserit — suit sa propre logique. Ici, pas de manichéisme : les Harkonnen ne sont pas des caricatures sadiques, et les Atréides ne sont pas des chevaliers blancs. Chaque camp est capable du meilleur comme du pire, et votre progression vous amène souvent à prendre parti… sans jamais être certain d’avoir choisi le « bon » côté.
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Une direction artistique au sommet, une beauté éblouissante
Et justement, ce monde… parlons-en.
Car Dune: Awakening réussit là où tant de jeux désertiques échouent : offrir une vraie variété. Non pas de biomes verdoyants — Arrakis reste Arrakis — mais de topographies, d’ambiances, de défis. Des canyons profonds aux plateaux balayés par les vents, des ruines englouties aux grottes de contrebandiers, chaque zone propose un gameplay légèrement différent. Et surtout, le jeu a l’intelligence de vous y emmener naturellement, via des quêtes, des événements ou des besoins en ressources.
La Faille de Hagga est probablement l’exemple le plus abouti. Cette immense faille naturelle, traversée de ponts précaires et de niveaux superposés, est un cauchemar logistique pour qui s’y aventure sans préparation. Mais elle est aussi une merveille de verticalité et d’ambiance, un terrain de chasse rêvé pour les prédateurs comme pour les pillards. Là encore, Funcom mêle l’utile au spectaculaire : c’est beau, mais c’est aussi un vrai challenge.
Graphiquement, Dune: Awakening profite pleinement de l’Unreal Engine. Mais au-delà des effets techniques (ombres dynamiques, particules de sable, animations météo…), c’est la direction artistique qui fait la différence. Tout semble pensé pour refléter à la fois l’ampleur mystique des romans et l’esthétique monumentale des films récents.
Les bâtiments ont une architecture brutaliste marquée, comme sculptée dans la roche. Les ornithoptères — pièce maîtresse de votre mobilité — sont mécaniquement crédibles, rugueux, presque insectoïdes. Les costumes et armures, eux, mêlent influences orientales, nomades et utilitaires. Résultat : on croit à ce monde. On le sent. On l’habite.
Et chaque tempête de sable, chaque lever de soleil sur les dunes, chaque cri de ver des sables au loin, rappelle que ce monde, aussi beau soit-il, ne veut pas de vous.
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Les limites du rêve
On aurait tort de voir Dune: Awakening comme un simple MMO à la sauce épicée. Il emprunte aussi aux codes du survival pur. Il faut surveiller votre hydratation, recycler l’eau de votre combinaison, récolter des matériaux sous un soleil mortel, et construire une base suffisamment discrète pour éviter d’être pillé. Le craft est dense, presque trop parfois, mais bien intégré à la progression. Il faut tout construire : vos abris, vos modules, vos véhicules, vos armes. Rien n’est donné. Et le moindre déplacement en dehors d’une zone protégée demande préparation : carburant, munitions, ration d’eau… Funcom pousse à planifier, à respecter l’environnement. L’Épice ne se cueille pas comme des fleurs.
Mais voilà. Le jeu n’est pas sans défauts, et certains sont plus gênants que d’autres. À commencer par le contenu PvP, qui empiète parfois lourdement sur l’expérience PvE. Le Désert Profond, zone regorgeant de ressources rares, est exclusivement PvP. Or, une partie du contenu de craft avancé dépend directement de ces matériaux. Résultat : les joueurs orientés solo ou PvE se retrouvent coincés dans un game design qui les punit. Frustrant, surtout dans un monde aussi riche.
L’équilibrage, aussi, laisse à désirer. Certains véhicules sont tout simplement indispensables, tandis que d’autres n’ont aucune utilité concrète. Le Landsraad — une idée brillante sur le papier — devient vite inaccessible pour ceux qui ne font pas partie d’une méga-guilde organisée. Les solitaires ou petits groupes sont donc laissés de côté, privés d’un pan entier du gameplay politique. Et justement, il y a le choix des factions. Se limiter aux Atréides et aux Harkonnen, dans un monde où le Bene Gesserit, les Fremen ou même les Corrino pourraient incarner des forces distinctes, est une occasion manquée. Cela bride la richesse narrative. Un ajout futur ? Espérons-le.
Enfin, l’endgame PvE est famélique. Passé un certain point, il ne reste que l’optimisation d’équipement ou le PvP pour vous occuper. Un peu mince pour un jeu aussi ambitieux.
Dune: Awakening est un jeu fascinant. Il capture l’essence d’Arrakis avec une fidélité visuelle, sonore et thématique rare. Il nous immerge dans un monde dur, poétique, où chaque grain de sable a un poids narratif. Son gameplay mêle survie, exploration, politique et construction avec une ambition qui force le respect.
Mais il reste à affiner la formule. L’équilibrage, les limitations PvE, l’endgame et la structure des factions sont autant de grains de sable dans une machine bien huilée. Rien d’irréparable, mais des points à corriger rapidement pour ne pas laisser les joueurs s’étioler dans le désert.
En l’état, Dune: Awakening est un très bon jeu, au potentiel exceptionnel. Avec quelques correctifs et une vision claire à long terme, il pourrait devenir une référence durable du genre — et l’un des rares jeux à vraiment comprendre ce qu’est l’univers de Dune.
On a aimé :
- Le crafting poussé
- Les possibilités de construction de bases
- La bande-son envoûtante
- Une adaptation du style visuel des films de Villeneuve, mais avec une originalité rafraîchissante
- L’exploration, excitante et parfois challengeante
- Le respect et la mise en scène de l’oeuvre de Frank Herbert
On a moins aimé :
- La map « Overland » aussi inutile que frustrante (mais jolie, cela dit)
- Le manque de contenu PvE endgame
- Les combats souvent mous
NOTE FINALE
85 / 100