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Quels arguments la CMA a-t-elle utilisée contre le rachat d’ABK par Microsoft, et en quoi ils n’ont pas vraiment de sens

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Ce milieu de semaine a été secoué par la Competition and Markets Authority, qui a manifesté sa désapprobation face au rachat d’Activision-Blizzard-King par Microsoft. Si l’autorité régulatrice britannique était notoirement hostile à cette opération, et avait même suggéré de briser ABK en plusieurs entités, son attitude semblait pourtant s’être adoucie ces derniers mois.

La CMA a publié un long document de 418 pages sur lequel nous nous appuierons pour cet article, et qui dépeint tant son raisonnement que ses conclusions. Nous essayerons ici de faire preuve d’autant d’objectivité et d’analyse que possible, mais disons-le clairement : l’opération voulue par Microsoft ne présente pas de risque de monopole. Ici, l’idée est surtout de comprendre les raisons majeures avancées par l’organisme britannique… Et s’il le faut, de les débunker.

 

 

 

 

Pour rappel, depuis plusieurs mois, la CMA a pour argument principal le cloud gaming. Dans son rapport, l’autorité régulatrice avance que Microsoft aurait jusqu’à 70% des parts de marché, ce qui m’a semblé relativement élevé.

Dans ses calculs, la CMA compte les utilisateurs de xCloud comme des MAU, ou « monthly active users« . Encore en bêta, xCloud est un service qui est déjà inclus dans le Xbox Game Pass ; autrement dit, certains utilisateurs sont comptés deux fois et gonflent artificiellement les parts de marché de Microsoft telles qu’exprimées par la CMA. Fait intéressant, cette méthodologie ne semble pas s’appliquée à Luna (Amazon Prime), qu’il s’agisse de jeux natifs ou d’autres éditeurs, comme Ubisoft. On peut donc estimer que xCloud et le Game Pass ne sont absolument pas aussi populaires que les chiffres laissent paraître, et que d’autres services ont mathématiquement plus de parts de marché.

La CMA va encore plus loin dans ses spéculations, estimant qu’une raison majeure de l’échec de Google Stadia est leur impossibilité à obtenir Call of Duty dans leur catalogue ; pourtant, la disponibilité de Fortnite dans xCloud, jeu extrêmement populaire s’il en est, ne semble pas spécialement avoir boosté la popularité du service de Microsoft. La CMA poursuit ses projections selon lesquelles Microsoft obtiendra un monopole incontesté sur le cloud gaming, citant notamment des concurrents qui pourraient être lésés. Petit problème cela dit, lesdits concurrents comme Nvidia GeForce Now ou Boosteroid ont publiquement exprimé leur désaccord avec la décision rendue cette semaine…

 

 

 

Malgré tout, la Competition and Markets Authority reconnaît dans son rapport : « Le cloud gaming est encore un marché jeune et dynamique, et il y a grande incertitude quant à savoir quelle forme son développement prendra et quels business models émergeront. Nous reconnaissons ne pas pouvoir prédire avec certitude comment le marché évoluera précisément sans ce rachat. Et, selon notre opinion, les autres parties ne le peuvent pas non plus« .

La vérité est qu’effectivement, personne ne sait à quoi ressemblera le cloud gaming dans six mois, un an ou une demi-décennie. Le simple fait que Google, malgré ses milliards, s’y soit cassé les dents montre qu’il ne suffit pas de mettre en ligne de supers serveurs avec les dernières cartes graphiques – une stratégie est clairement nécessaire. Et oui, peut-être que Microsoft a une stratégie de long terme extrêmement ambitieuse qui mettra à mal toute l’industrie des jeux vidéo ; nul ne peut dire le contraire, à part quelques dirigeants de l’entreprise américaine.

Mais en l’état actuel des choses, en ne s’appuyant que sur des faits connus et non des conjectures hasardeuses, on peut affirmer que les services de streaming vidéo-ludique souffrent. Pour reprendre leurs exemple, Nvidia et Boosteroid auraient largement gagnés à pouvoir proposer Call of Duty dans leurs catalogues respectifs, ainsi que d’autres jeux de Microsoft Studios. Avec sa décision, la CMA semble tout simplement vouloir priver ces acteurs de nouvelles parts de marché

 

 

 

 

Revenons à Google Stadia, service qui été un échec car il lui manquait, selon la Competition and Markets Authority… Call of Duty. D’aucun noteront que xCloud, Luna, BlackNut, GeForce ou encore Boosteroid ne disposent pas du FPS d’Activision dans leurs catalogues, mais sont toujours vivants.

Il y a donc une certaine outrecuidance à cette déclaration, mais ça n’est pas la seule. L’autorité britannique note en effet : « Nintendo ne propose pour l’instant pas Call of Duty, et nous n’avons vu aucune preuve suggérant que ses consoles seraient en mesure de faire tourner le jeu dans une version similaire à celles de la Xbox et de la PlayStation, en termes de qualité et de contenu« . Il est ici fait référence au deal signé entre Microsoft et Nintendo, ces derniers ayant la garantie de pouvoir rendre disponible Call of Duty si le rachat d’ABK se faisait. Il est aussi amusant de noter que pour apaiser les choses, Phil Spencer avait même proposé à Sony un marché pour garantir la disponibilité de Call of Duty sur PlayStation, annihilant ainsi le concept d’exclusivité qui effrayait le géant nippon.

Dans une certaine mesure, il est tout à fait vrai de déclarer que Microsoft et Sony sont deux adversaires distincts, Nintendo évoluant plus dans son propre écosystème. Cela dit, il paraît relativement safe d’affirmer qu’en signant un contrat pour dix ans, Nintendo (via ses ingénieurs) s’est assuré que l’objet dudit contrat tournerait sur ses propres machines, n’est-ce pas ? Ajoutons également qu’une nouvelle version de la Switch est attendue pour l’année prochaine, on peut donc estimer que Microsoft et Activision pourront très probablement offrir une version parfaitement jouable de Call of Duty sur une large variété de machines.

Suggérer que Nintendo ne soit pas en mesure d’évaluer les performances de son propre produit pour y proposer des jeux précis relève soit d’une arrogance aveugle, soit d’une stupidité inquiétante

Pour couronner le tout, la CMA accuse Microsoft d’avoir conscience de la valeur de ses produits : « Disposer du contenu d’Activision sur le Game Pass offrirait une nouvelle option de payer pour du contenu qui est déjà disponible à l’achat sur Xbox []. De plus, nous nous attendons à ce que Microsoft soit motivé à augmenter le prix du Game Pass en accord avec l’augmentation de valeur due à l’ajout du catalogue d’Activision, et nous avons calculé que même une petite augmentation du prix augmenterait significativement ou baisserait tout RCB« . Le « relevant customer benefits » est une métrique synthétisant ce qui est bénéfique pour les utilisateurs, et celle-ci serait donc théoriquement baissée si Microsoft décidait d’augmenter ses prix. Si c’est vrai sur le papier, ne peut-on pas dire la même chose d’à peu près tous les produits sur Terre ? A aucun moment Microsoft n’a signifié son intention d’augmenter l’abonnement du Game Pass en cas de rachat d’ABK, et cet argument utilisé par la CMA est complètement théorique, ne s’appuyant que… sur du vent.

 

 

 

Tous ces éléments jettent le discrédit sur la CMA, en plus de susciter une colère de la part de nombreux gamers ; rappelons qu’avec les termes offerts par Microsoft, de nombreux jeux de ses propres studios, mais également du trio Activision-Blizzard-King auraient été disponibles dans une plus large variété de bibliothèques qu’actuellement.

Certains ont également pointé du doigt des irrégularités, et parmi eux se trouve Bobby Kotick. Le PDG d’Activision s’est, en effet, publiquement étonné que Lina Khan, présidente de la Federal Trade Commission, rencontre à Washington le patron de la CMA ; il n’est bien sûr, pas rare que les autorités régulatrices discutent entre elles, comme cela est clairement indiqué sur le site de la FTC. Mais d’aucuns pourraient affirmer que dix jours avant la décision rendue sur une opération aussi massive, une rencontre entre les boss des deux entités s’avère suspecte.

Il est important de souligner que ni Bobby Kotick, ni Always For Keyboard, ni qui ce soit ne dispose de preuves d’une éventuelle collusion entre la FTC et la CMA. Les arguments spécieux de cette dernière, cependant, lui retirent de plus en plus de légitimité aux yeux du public ; se pourrait-il que la FTC, notamment hostile au rachat d’ABK par Microsoft, ait encouragé sa cousine britannique dans sa décision négative ?

Quoiqu’il en soit, il sera très intéressant de voir comment Microsoft adaptera sa stratégie. Pas plus tard que ce matin le géant Américain a annoncé sur Twitter avoir signé un deal de dix ans avec la plateforme de cloud gaming européenne Nware, montrant ainsi sa volonté de s’ouvrir. En théorie, Microsoft pourrait entrer dans une logique de guerre froide et racheter Activision-Blizzard-King malgré tout, en ayant juste besoin du blanc-seing de la FTC et du Sénat américain. Si la CMA proteste en engage des procédures sur le plan légal, Microsoft pourrait simplement décider de fermer tous ses bureaux, points de vente et autres aspects physiques de son marché en Grande-Bretagne, entraînant ainsi une vague importante de licenciement.

Est-ce que c’est la solution qui sera choisie ? Nul n’est en mesure de le dire pour l’instant, mais le gros feuilleton vidéoludique de cette année ne semble pas sur le point de s’arrêter

 

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